Allogreffes tendineuses dans la chirurgie du genou et reprise du sport
Henri Robert, Centre Hospitalier Nord-Mayenne - Mayenne henri.robert@wanadoo.fr
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Le recours aux allogreffes tendineuses dans la chirurgie ligamentaire du genou est exceptionnel en France essentiellement en raison d’un sentiment d’impossibilité légale et pratique (Robert). Leur utilisation augmente régulièrement aux Etats-Unis dans la chirurgie primaire du LCA, les reprises et les lésions multi ligamentaires du genou (Harner). 20% des plasties du LCA sont réalisées avec une allogreffe aux USA (Snow). Le retard en France s’explique d’autant moins que les allogreffes tendineuses ont été utilisées précocement, dans la chirurgie reconstructrice de la main (Iselin), que les allogreffes osseuses sont largement utilisées en France (18000 greffes osseuses distribuées en 2008) et que le nombre de donneurs augmente régulièrement (24,6 donneurs prélevés en 2008 pour 106 habitants, Agence de Biomédecine).
Shino et coll. ont été les premiers, au début des années 80, à utiliser chez l’homme les allogreffes tendineuses (Tendons d’Achille ou Tibialis antérieur) pour les plasties du LCA. Une méta analyse récente entre auto et allogreffe dans la chirurgie primaire ne met pas en évidence de différence sur les scores de Lysholm, la mesure de laxité au KT-1000, et le taux de rerupture (Carey).
Nous avons délibérément pris l’option de l’allogreffe en 2004, dans les reprises de plasties du LCA, après avoir eu connaissance des bons résultats de plusieurs publications (Nyland, Shino). Nous implantons des greffes prélevées sur donneurs multi organes, en l’absence d’opposition. Les greffes sont conservées à – 80°, elles sont non irradiées et non traitées par un procédé chimique. Les greffes sont distribuées en France par des Banques de Tissus, agrées par l’Agence de Biomédecine.
Les allogreffes ont plusieurs avantages :
réduction des douleurs post-opératoires (Prodromos).
réduction de la morbidité du prélèvement notamment pour le tendon rotulien (Shaieb).
réduction de la durée du garrot.
possibilité d’adaptation de la greffe (Largeur du tendon, baguette osseuse éventuelle) à la perte de substance osseuse laissée par la primo réparation.
Les allogreffes ont des inconvénients :
risque de transmission virale (VIH, hépatites B et C, Syphilis), aujourd’hui parfaitement maitrisé par l’enquête clinique, les sérologies du donneur et la mise en quarantaine des greffes.
faible disponibilité (30 greffes ont été délivrées en 2008 par les Banques de Tissus en France).
retard de ligamentisation entrainant une augmentation du délai de reprise des sports.
risque de re-rupture (Prodromos).
coût de la greffe (˜ 500 Euros), intégré dans la T2A.
La ligamentisation des allogreffes.
L’allogreffe va subir la même séquence qu’une autogreffe : nécrose, inflammation, revascularisation, recolonisation cellulaire, remodelage, mais avec des délais supérieurs. Les études expérimentales montrent un retard de revascularisation et repopulation cellulaire à 6 et 12 semaines. A 6 mois, l’allogreffe est plus petite et moins riche en fibres collagéniques de faible diamètre que l’autogreffe (Arnoczky, Jackson, Scheffler, Thorson). A 1 an, les allo et auto greffes ont retrouvé une distribution cellulaire et vasculaire homogène, voisine de celle d’un LCA normal. Les tests mécaniques de charge à la rupture et de raideur, des auto et allo greffes, à 6 et 12 semaines sont voisins mais très inférieurs à un LCA normal. A 1 an, ces tests mécaniques sont respectivement du tiers et des deux tiers d’un LCA normal pour l’allo greffe et l’auto greffe (Scheffler).
Les études cliniques avec biopsies montrent qu’il faut attendre au moins 18 mois pour retrouver une maturité de la greffe et des ancrages (Shino, Malinin).
L’évaluation clinique de la revascularisation des allogreffes a été faite par une IRM avec injection IV de gadolinium. Le démarrage de la revascularisation est de 3 mois en retard et le pic de 6 mois en retard dans une allogreffe par rapport à une autogreffe (Muramatsu). L’intensité du signal IRM est inversement proportionnelle à la qualité mécanique de la greffe (Weiler).
La technique.
Nous utilisons l’allogreffe de demi tendineux selon la technique TLS mono faisceau en 2 brins habituellement, car le diamètre atteint habituellement 9 ou 10 millimètres.
Nos indications.
Nous réservons les allogreffes essentiellement dans les reprises d’échec de plastie du LCA quel que soit la greffe initiale (tendon rotulien ou ischio-jambiers). Nous préférons les tendons tibiaux (10 cas) aux tendons rotuliens pour leurs qualités mécaniques (Haut Donahue), l’absence d’os et leur gros diamètre. Les allogreffes tibiales en 2 brins ont un diamètre moyen supérieur aux autogreffes d’ischio-jambiers (DI-DT) en 4 brins.
Nous avons également réalisé des allogreffes dans 3 plasties du LCP (Tibialis postérieur) et 1 cas de lésion bi-croisées (Greffe de tendon d’Achille) pour respecter la musculature du genou.
Les critères de reprise du sport.
Toute plastie du LCA doit satisfaire à plusieurs critères pour la reprise des sports en ligne puis des sports de pivot. Il s’agit de l’indolence, de la récupération de mobilité et surtout d’une musculature équilibrée entre fléchisseurs et extenseurs du genou. Le recours aux allogreffes permet de satisfaire tous ces critères aussi rapidement sinon plus qu’avec une autogreffe. Pour James Carey : « In this meta-analysis, the short-time clinical outcomes of ACL reconstruction with allograft were not significantly different from those with autograft ».
Le problème principal réside dans le délai d’intégration de cette greffe, considéré comme supérieur à celui des autogreffes. Nous avons recours à l’IRM + gadolinium pour apprécier la qualité de la revascularisation (Muramatsu).
En pratique :
1. Nous protégeons l’allogreffe du LCA par une plastie extra articulaire de type Christel.
2. Les patients ont une attelle articulée pendant 4 à 6 semaines pour la marche exclusivement. L’appui complet est d’emblée possible. La rééducation est douce, progressive, en chaine fermée selon un protocole donné au Kiné.
3. Nous réalisons une IRM + Gadolinium à 1 an pour juger du signal de la greffe. La persistance d’un hyper signal peut être le témoin d’une revascularisation encore en cours (Muramatsu) ou d’un conflit avec le toit de l’échancrure (Howell).
4. Compte tenu des informations sur la ligamentisation, il nous semble raisonnable de reporter de 3 mois, les étapes habituelles de la reprise des sports. Ainsi la course en ligne droite est autorisée à 5 mois et les sports de pivot après 15 voir 18 mois minimum. Ces délais sont connus des patients avant l’intervention et ils sont habituellement acceptés, compte tenu de l’échec de la 1ère plastie. Dans notre pratique sur 10 cas, la reprise de la course s’est faite entre 5 et 14 mois et elle dépend plus de la motivation et de la confiance du patient que de la stabilité du genou. La reprise d’un sport (foot, basket) a été possible dans 6 sur 8 cas mais à un niveau toujours inférieur à celui d’avant.
5. La sélection des patients. Nous réservons les allogreffes à des patients sportifs de loisir et raisonnables, porteurs d’une rupture de plastie. Nous n’utilisons jamais d’allogreffe dans une primo-réparation.
Références.
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Muramatsu K, Hachiya Y, Izawa H. Serial evaluation of ACL grafts by contrast-enhanced MRI: comparison of allografts and autografts. Arthroscopy 2008; 9: 1038-1044
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