Timing opératoire et lésion aigue du LCA
Denis Bertin et Hubert lanternier
Communication complète
Introduction
Le timing de la chirurgie après lésion aigue du ligament croisé antérieur (LCA) reste est un problème difficile, il est controversé dans la littérature. Quel est le délai idéal entre le traumatisme et la reconstruction du LCA ? Pour certains ce délai est un facteur important dans la récupération post-opératoire.
Revue de la littérature
Plusieurs études rétrospectives ont montré que la réparation immédiate après le traumatisme était source de raideur (flexum de 10° ou plus et flexion inférieure à 120°) comparée aux reconstructions différées.
La raideur
Mothadi (1) en 1991, étudie sur une série de 527 reconstructions du LCA les 37 cas de raideur. Il constate que les reconstructions faites dans les 2 semaines après le traumatisme ont un taux significativement plus élevé de raideur.
Harner (2) en 1992, revoit 244 reconstructions du LCA avec un recul supérieur à 1 an. Les 27 cas de raideurs (11%) sont liés aux reconstructions faites dans le mois post-traumatique.
Wasilewski (3) en 1993, sur une étude de 87 cas conclut que la récupération de l’amplitude postopératoire est toujours inférieur et la récupération de la force du quadriceps plus lente dans les cas opérés en aigu.
Graft (4) en 1994 suit 373 cas de reconstruction du LCA (Tendon Rotulien). Les raideurs sont statistiquement moins fréquentes chez les sujets opérés au delà de 7 jours et sous arthroscopie. La mobilisation précoce postopératoire (dés le deuxième jour) est un facteur de bon pronostic statistiquement significatif.
Shelbourne (5) a publié une étude rétrospective en 1991 sur la raideur postopératoire dans 169 reconstructions du LCA en phase aigue. Il existe un taux statistiquement plus élevé de raideur chez les patients opérés dans la première semaine après le traumatisme que chez les patients opérés après 3 semaines.
Il a montré en 1995 (6) sur une série de 143 patients que la récupération de la force musculaire du quadriceps (cybex) est plus rapide chez les patients qui avaient été opérés en différé (40 jours en moyenne) que chez les patients opérés en urgence (11 jours en moyenne).
Cosgarea (7) fait une étude rétrospective sur 188 opérés. Il montre que l’incidence de la raideur (12 %) est moindre quand l’intervention est différée d’au moins trois semaines et que l’extension préopératoire est déficitaire de moins de 10°.
Des articles récents vont également dans ce sens et montrent que le timing n’est pas seulement en cause. La récupération de l’amplitude articulaire qui n’est pas forcément superposable à la durée préopératoire est un élément à prendre en compte.
Seule la publication de Hunter (8) sur 185 cas opérés en aigu, ne retrouve pas de corrélations entre le résultat et le timing opératoire.
Sterret (9) en 2003 étudie 80 cas opérés en aigu et 80 cas en chronique. Il ne constate pas de raideur chez les patients opérés à moins de 3 semaines. Par contre tous les patients avaient une amplitude complète avant la chirurgie, sans déficit d’extension active, et sans faiblesse quadricipitale.
Pour McHugh (10) c’est la présence ou non d’une extension complète, symétrique au coté controlatéral, plus que l’importance du déficit quadricipital qui est le facteur de risque principal pour la récupération de l’extension post-opératoire.
Pour Shelbourne (12) le timing idéal est représenté par l’état du genou plus qu’un délai préopératoire. Pour lui la condition idéale est la récupération de l’amplitude articulaire comparable au coté opposé, y compris le récurvatum, la disparition des phénomènes inflammatoires, le contrôle musculaire, la marche et la force. Il souligne également la condition psychologique du patient.
Cette condition psychologique n’est pas négligeable, Barret (13) a bien montré que les opérés ayant une indemnité d’arrêt de travail ont de moins bons résultats subjectifs que ceux qui n’en ont pas.
La limitation de l’amplitude et la perte du contrôle musculaire
Cette revue non exhaustive de la littérature et la publication récente de Fithian en 2005 (14) convergent vers un certain consensus que nous avons par ailleurs constaté dans notre expérience. Le facteur qui parait déterminant dans la survenue d’une raideur postopératoire après chirurgie du LCA est représenté par la limitation de l’amplitude articulaire préopératoire. Le deuxième facteur est la perte du contrôle musculaire.
La limitation de l’amplitude et la perte du contrôle musculaire sont la conséquence de la réaction inflammatoire post-traumatique. Pour DeHaven (11) cette phase inflammatoire aigue est à l’origine de la raideur post-opératoire.
Cette réaction inflammatoire n’est pas constante et varie d’un individu à l’autre. Elle peut être suspectée assez rapidement devant un genou très inflammatoire, des douleurs importantes et une raideur qui apparaît précocement.
L’installation de cette raideur post-traumatique peut s’accompagner parfois d’une discrète déminéralisation sous chondrale sur les radiographies standards.
L’IRM peut montrer des anomalies de signal du tissu spongieux (Bone bruise) dans les lésions aigues. Leur présence témoigne de l’importance des lésions des tissus mous (lésions ligamentaires) (15). Ces signaux disparaissent 4 et 12 mois après le traumatisme. Ils pourraient avoir une valeur pronostique sur l’apparition de lésions cartilagineuses mais ils ne paraissent pas en rapport avec l’importance de la réaction inflammatoire initiale.
La scintigraphie pourrait traduire la perturbation initiale de l’homéostasie tissulaire et donner une indication sur l’importance de la réaction inflammatoire post-traumatique. (16)
Conclusion
Devant une lésion aigue du LCA, la chirurgie ne doit être envisagée qu’après récupération d’une extension complète, de la force musculaire du quadriceps et de la disparition des douleurs, même si cela peut demander parfois plusieurs semaines.
L’avantage de cette procédure est de mettre le genou dans les meilleures conditions préopératoires avec l’avantage de préparer le patient psychologiquement.
Références
1. Mohtadi NG et al. Limitation of motion following anterior cruciate reconstruction. A case-control study. Am J Sports Med. 19(6):620-624, 1991.
2. Harner CD et al. Loss of motion after cruciate anterior reconstruction. Am J Sports Med. 20(5):499-506, 1992.
3. Wasilewski SA et al. Effect of surgical timing on recovery and associated injuries after anterior cruciate ligament reconstruction. Am J Sports Med 21(3):338-342,1993.
4. Graf BK et al. Risk factors for restricted motion after anterior cruciate reconstruction. Orthopedics 17(10):909-912, 1994.
5. Shelbourne KD et al. Arthrofibrosis in acute anterior cruciate ligament reconstruction. The effect of timing of reconstruction and rehabilitation. Am J Sports Med 19(4):332-336, 1995.
6. Shelbourne K D et al. Timing of surgery in acute anterior cruciate ligament tears… Am J Sports Med 23(6):686-689, 1995.
7. Cosgarea AJ et al. Prevention of arthrofibrosis after anterior cruciate reconstruction using the central third patellar tendon autograft. Am J Sports Med 23(1):87-92, 1995.
8. Hunter RE et al. The impact of surgical timing on postoperative motion and stability following anterior cruciate reconstruction. Arthroscopy 12(6):667-674, 1996
9. Sterett WI et al. Decrease range of motion following acute versus chronic anterior cruciate ligament reconstruction. Orthopedics 26(2):151-154, 2003.
10. McHugh MP et al. Préoperative indicators of motion loss and weakness following anterior cruciate ligament reconstruction. J Orthop Sports Phys Ther.27(6):407-411, 1998.
11. DeHaven et al. Arthrofibrosis of the knee following ligament surgery. Instr Course lect. 52:369-381, 2003.
12. Shelbourne K D, Patel D V. Timing of surgery in anterior cruciate ligament-injured knees. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc. 3:148-156, 1995.
13. Barrett GR et al. The effect of workers’compensation on clinical outcomes of arthroscopic-assisted autogenous patellar tendon anterior cruciate ligament reconstruction in an acute population. Arthroscopy. 17(2):132-137, 2001.
14. Fithian D C. Complications of ACL reconstruction. Avoidance and management. Instructional course lecture handhout, 317, AAOS, 72nd annual Meeting. Washington, 2005.
15. Bretlau T et all. Bone bruise in the acutely injured knee. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc.10: 96-101, 2002.
16. Dye SF. ACL Injury: Pathophysiology and current therapeutic principles. Instructional Course, 283, AAOS. 2005.
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