Chirurgie Orthopédique et informatique
Philippe Merloz (Grenoble)
Communication complète
Tous les systèmes de navigation qui ont émergé au cours de ces dernières années ont en commun une façon logique de traiter l’information médicale (1). Ce traitement s’effectue selon une boucle qu’on appelle « boucle robotique » composée de trois éléments : la perception de l’information ; le raisonnement ou le traitement des données ; l’action, c’est à dire le geste proprement dit.
I - la perception de l’information :
Cette perception peut se faire à partir de repères osseux anatomiques, d’images radiographiques (fluoroscopie), d’images tomodensitométriques pré-opératoires ou post-opératoires, d’atlas anatomique ou de données cinématiques (1).
I-1. Les données tomodensitométriques pré-opératoires :
Ce sont les données les plus anciennes mais aussi les plus classiques. Elles sont encore à l’heure actuelle, considérées comme un « standard or ». Lorsqu’on se sert d’images numériques à base TDM pour effectuer une navigation, on a généralement la satisfaction de pouvoir effectuer un geste précis et efficace sans que cela consomme trop de temps. De nombreuses publications ont confirmé ces avancées. Retenons que la précision est de l’ordre du millimètre.
La tomodensitométrie pré-opératoire en tant qu’imagerie servant de base à la navigation est une imagerie tridimensionnelle. Elle peut, en outre, fournir des informations sur la densité osseuse. Elle est précise, fiable et permet en plus d’effectuer un planning pré-opératoire. Par contre, elle a des inconvénients, les plus fréquents étant liés à la phase de recalage ou en rapport avec le format d’imagerie utilisé par les radiologues. La technique est en outre irradiante dans sa phase pré-opératoire (2, 3, 4, 5, 6).
I-2. La fluoroscopie virtuelle :
Celle-ci permet d’effectuer une navigation au bloc opératoire sans avoir besoin d’imagerie spécifique pré-opératoire. En effet, l’imagerie dont on se sert est immédiatement issue d’un appareil de fluoroscopie classique sur lequel a été fixée une mire de calibrage qui permet à l’ordinateur de reformater l’image obtenue en gommant l’agrandissement périphérique, et les déformations qu’offrent toujours les radiographies classiques. En effet, cette phase de reformatage des images est absolument indispensable et passe obligatoirement par l’utilisation d’un logiciel spécifique associé à la mise en place sur le récepteur de l’amplificateur de brillance de la mire de calibrage. Lorsque l’image radiographique a été débarrassée de ses effets de distorsion et d’agrandissement, il est possible de naviguer dans de bonnes conditions de sécurité en étant précis. Ce système de fluoroscopie virtuelle est facile à utiliser. Il est immédiatement disponible et ne nécessite pas de phase de recalage. Par contre, il est irradiant et ne donne que des informations bidimensionnelles (7).
I-3. Le repérage de points anatomiques :
En effet, en cours d’intervention, il est possible de relever et de numériser des points anatomiques précis. En matière de chirurgie rachidienne, il peut s’agir du sommet d’un processus épineux ou d’un rebord latéral ou médial d’une apophyse articulaire ou de la partie la plus concave de l’isthme etc.. Une fois numérisés, ces points peuvent être recalés sur des images TDM par exemple. Ce recalage peut se faire à partir de points pris isolément [point based registration] ou bien de points palpés en grand nombre et de façon aléatoire (technologie du « nuage de points » ou [surface based registration]). Cette technique a pour inconvénient de nécessiter un abord souvent large afin d’identifier de façon précise les points palpés (1, 2, 3).
I-4. Les atlas anatomiques :
En lieu et place des images TDM pré-opératoires, on peut se servir d’atlas anatomiques. Ceux-ci sont présents dans les mémoires des ordinateurs sous forme de modèles statistiques déformables capables de s’adapter à l’anatomie spécifique d’un patient dans la mesure où celle-ci reste relativement conforme à une anatomie « normale ». Si cette anatomie est trop décalée par rapport à la normalité, cette technique ne peut pas s’appliquer (l’exemple le plus caractéristique est celui de la déformation vertébrale observée lors des scolioses) ; (8, 9).
I-5. La TDM per-opératoire :
Depuis 2 ou 3 ans, sont apparus des appareils permettant d’effectuer une véritable tomodensitométrie per-opératoire. Il s’agit, en fait, d’amplificateurs de brillance dits tridimensionnels qui, en tournant autour du patient et en incrémentant des images radiographiques tous les 10 ou 15° de rotation sur l’organe ciblé peuvent reconstruire en quelques instants, grâce à leur logiciel, un modèle 3D sur lequel il est possible de naviguer immédiatement. Ces systèmes sont limités en nombre étant donné leur coût. Il est nécessaire de disposer d’une table totalement radio-transparente et la qualité des images au niveau du bassin ou du rachis laisse parfois à désirer lorsque les sujets sont un peu « forts ». De plus, cette technique est particulièrement irradiante. Elle a toutefois l’avantage de fournir des images tridimensionnelles directement accessibles pour la navigation au bloc opératoire (10).
II – le raisonnement :
Au cours de cette étape, deux phases peuvent être distinguées : la phase pré-opératoire et la phase de recalage.
II-1. La phase pré-opératoire :
C’est pendant cette phase que les images acquises en pré-opératoire (celles que nous venons de citer) peuvent servir de base pour faire un plan pré-opératoire de l’intervention (par exemple le positionnement de vis, leur diamètre, leur longueur, et leur orientation). Ces données peuvent être mémorisées par l’ordinateur (4, 5).
II-2. Le recalage :
Il y a plusieurs modalités de recalage et celui-ci peut se faire entre les images TDM pré-opératoires et les points acquis au niveau de la région anatomique opérée. Il s’agit généralement d’un recalage dit « rigide » qui se fait point à point. Ce type de recalage peut être soumis à de nombreuses erreurs mais la technique la plus perfectionnée fait appel au « nuage de points » ou recalage de surface (1, 2, 3).
Il est possible également de faire appel aux mêmes points palpés en per-opératoire pour recaler une région anatomique sur un modèle statistique déformable. Nous avons vu les limites d’une telle technique (9).
Il est également possible d’effectuer un recalage entre des images TDM pré-opératoires et deux vues de face et profil obtenues par fluoroscopie virtuelle. Ce type de recalage est effectué point à point à condition que les images radiographiques puissent être segmentées de façon automatique. Cette technique est appelé recalage 3D/2D (3D : TDM pré-opératoire - 2D : radiographie de type fluoroscopie virtuelle face et profil).
Depuis peu, un type similaire de recalage peut être effectué entre des images TDM pré-opératoires et des images per-opératoires échographiques. L’avantage d’une telle technique est d’offrir de réelles possibilités pour des gestes percutanés (11).
Lors de cette étape de raisonnement, les références, chirurgicale et anatomique sont essentielles. En effet, l’anatomie permet d’optimiser le raisonnement de la même façon que l’expérience personnelle du chirurgien. Ces éléments permettent d’effectuer un apprentissage de certains gestes opératoires par le chirurgien lui-même ou par ceux qui sont en formation autour de lui. D’autres notions peuvent être intégrées comme celles qui concernent le but fonctionnel à atteindre : par exemple, la mise en place de vis pédiculaires peut faire appel à des connaissances anatomiques précises ou bien à l’expérience des chirurgiens lorsqu’il s’agit de positionner les implants de façon stratégique. D’autres notions, comme celles qui touchent à la biomécanique peuvent permettre d’optimiser la correction en fonction de données expérimentales. Toutes ces informations peuvent être fournies directement au chirurgien par l’intermédiaire de l’écran de l’ordinateur pour effectuer le geste de navigation (affichage des données).
III – La phase d’action :
Cette action peut se faire à l’aide d’un guidage passif, les informations étant communiquées au chirurgien par l’intermédiaire de l’écran de l’ordinateur. Celui-ci reste maître de son geste grâce aux outils passifs dont il dispose. Il peut s’agir d’une pointe carrée, d’un palpeur, d’un tournevis ou d’un guide de perçage. Le guidage passif a permis depuis de nombreuses années de réaliser des gestes orthopédiques multiples avec un haut degré de sécurité et de précision. On peut aussi utiliser un guidage actif à l’aide d’un robot mais pour l’instant, ces robots ont une utilisation relativement confidentielle compte-tenu de la technologie complexe nécessitée par leur mise en œuvre.
IV - Conclusion :
Actuellement, trois types de systèmes passifs sont utilisés : les systèmes de navigation à base TDM, les systèmes de navigation à base fluoroscopique et les systèmes de navigation « sans imagerie préalable » (à base de points ou de modèles statistiques déformables). L’utilisation de la fluoroscopie virtuelle a montré que le temps d’irradiation pouvait être divisé par trois par rapport à une fluoroscopie conventionnelle. La technologie de fusion d’images 3D/2D reste encore peu utilisée, car complexe mais elle a sans doute un avenir pour optimiser le positionnement de certains implants.
D’une façon générale, les trois principaux systèmes utilisés en chirurgie orthopédique permettent de resserrer l’éventail de dispersion des résultats en matière de précision de positionnement d’implants.
Depuis peu, les systèmes informatisés de bloc opératoire ont vu leur ergonomie s’améliorer avec la disparition des claviers et des souris. L’écran est un écran tactile et les menus sont des menus déroulants de type conversationnel. Un certain nombre de machines actuellement disponibles sur le marché ont des spécificités multiples leur permettant d’effectuer, non seulement, de la chirurgie du rachis mais aussi de la chirurgie orthopédique au niveau d’autres régions anatomiques telle que la hanche ou le genou.
Toutes les images peuvent être enregistrées sur CDRom pendant l’intervention. Elles peuvent servir de base de données pour l’enseignement en post-opératoire. Elles permettent alors au chirurgien d’élargir ses connaissances et aux aides qui sont en formation de réellement rentrer dans une phase d’apprentissage virtuel.
Nous nous trouvons donc face à un véritable carrefour d’intégration d’informations multi-modales (radiographies, scanner, IRM, écho, scintigraphie) et il est fort probable que l’on verra éclore dans les années qui viennent des systèmes de navigation basés sur l’utilisation d’amplificateurs de brillance tridimensionnels de bloc opératoire à véritable effet « CT like ».
Il est probable que dans un futur proche, on verra apparaître des technologies nouvelles permettant d’introduire des puces capables de délivrer des informations en terme de pression ou en terme de déplacement. Parallèlement à cela, les mini-robots vont certainement succéder aux macro-robots dont nous avons relaté la vie éphémère.
REFERENCES
1. Lavallée S., Troccaz J., Sautot P., Mazier B., Cinquin Ph. , Merloz Ph. , Chirossel JP. Computer assisted spine surgery using anatomy-based registration.
In : Computer Integrated Surgery, ed R. Taylor, S. Lavallée, G. Burdea et R. Mösges Edit.
MIT Press, Cambridge, 1995 (425-449).
2. Nolte LP, Visarius H, Arm E, et al : Computer aided fixation of spinal implants. J Image Guided Surg 1 : 88 - 93, 1995.
3. Lavallée S., Sautot P., Troccaz J., Cinquin Ph. , Merloz Ph.
Computer Assisted Spine Surgery. A technique for accurate transpedicular screw fixation using CT data and a 3 D optical localizer.
J. Image Guided Surg. 1995, 1, 65-73.
4. Merloz Ph. , Tonetti J., Eid A., Faure C., Lavallée S., Troccaz J., Sautot P., Hamadeh A., Cinquin Ph.
Computer Assisted Spine Surgery
Clin. Orthop. 1997, 337, 86-96.
5. Merloz Ph. , Tonetti J., Cinquin P., Lavallée S., Troccaz J., Pittet L.
Chirurgie Assistée par Ordinateur : vissage automatisé des pédicules vertébraux.
Chirurgie, 1998, 123, 482-490.
6. Merloz Ph., Huberson Ch., Tonetti J., Eid A., Vouaillat H.,
Computer-Assisted Pedicle Screw Insertion.
Techniques in Orthopaedics, Vol. 18 (2) : 149 – 159 ; 2003
7. Foley KT., Simon D., Rampersaud YR.
Virtual Fluoroscopy
Oper. Techniques in Orthop, vol 10, N° 1, 2000 ; 77-81
8. Fleute M., Desbat L., Martin R., Lavallee S., Defrise M., Liu X. and Taylor R.: Statistical model registration for a C-arm CT system. In NSSMIC2001 abstract book; p 112
9. Merloz Ph., Huberson Ch., Tonetti J., Eid A., Vouaillat H., Plaweski S., Cazal J., Schuster Ch., Badulescu A.
Reconstruction d’une Vertèbre Lombaire à partir d’un Examen Tomodensitométrique ou d’un Modèle Statistique Tridimensionnel et de deux Radiographies Calibrées. Etude Expérimentale
Rev. Chir. Orthop. 2003, 89, Supp 6, 3S42
10. Ritter D., Mitschke M.: Direct Marker-free 3D Navigation with an Isocentric Mobile C-Arm. In J. Troccaz, P. Merloz (eds.): “SURGETICA 2002, Computer-aided medical interventions: tools and applications, Sauramps Medical, (2002), 288-295
11. Tonetti J, Carrat L, Blendea S, Merloz P, Troccaz J, Lavallee S, Chirossel J-P. Clinical results of percutaneous pelvic surgery. Computer assisted surgery using ultrasound compared to standard fluoroscopy. Computer Aided Surg. 2001, 6(4), 204-211.
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