CAL VICIEUX EXTRAARTICULAIRE : LA PLACE D’UN SUBSTITUT OSSEUX SYNTHETIQUE INJECTABLE : L’EUROBONE®
Introduction
Le cal vicieux du radius distal est probablement la complication la plus fréquente de la fracture la plus fréquente chez l’adulte. La question est vraiment de savoir quand traiter ce cal vicieux extra articulaire qui, laissé en l’état chez des patients à haute demande fonctionnelle, sera à l’origine d’une instabilité adaptative du carpe. Les objectifs de la prise en charge sont bien définis : analyser la demande et la gêne du patient, analyser le déplacement dans les trois plans et définir le traitement qui consiste surtout à choisir l’os à opérer. L’importance de la déformation va indiquer l’importance de la correction. Dans le plan frontal, l’horizontalisation du radius est classique ; la verticalisation est la conséquence bien souvent d’une hyper réduction par broches. Dans le plan sagittal, le déplacement est dorsal ou palmaire. Si le déplacement est dorsal, c’est que la réduction était initialement insuffisante ou qu’il y a eu un déplacement secondaire. S’il est palmaire, il y a encore une hyper réduction. Dans le plan horizontal, qui est souvent oublié dans l’analyse préopératoire, c’est le scanner qui permet de retrouver une supination du fragment distal et d’évaluer la congruence de la radio ulnaire distale ainsi que son caractère arthrosique ou non.
Les principes thérapeutiques d’un cal vicieux extra articulaire sont bien connus et ont été rappelés par Voche (1). Il est classique d’aborder du côté de la déformation principale en réalisant sur le radius des ostéotomies d’addition ou de soustraction. L’addition étant le plus souvent nécessaire au vu du raccourcissement. Dans un premier temps, après l’abord, une ou deux broches sont positionnées parallèles à l’interligne radio carpien. L’ulna peut être aussi le site de geste (raccourcissement, Sauvé - Kapandji ou résections de la tête ulnaire).
Les moyens sont là aussi classiques. Quand l’ostéotomie est une ostéotomie d’ouverture, il faut combler le défect créé et jusqu’à présent le greffon iliaque cortico-spongieux est le plus classique, structurel par la corticale, biologique par le spongieux qu’il contient. Il faut fixer le montage par des plaques qui doivent être fines et modelables. Des broches peuvent aussi être utilisées. Un fixateur peut être utilisé en per- ou en post-opératoire selon les habitudes ou les techniques. L’immobilisation post-opératoire dépend de la fixation et de la sensation de stabilité du montage. La reprise du travail est envisagée à consolidation, c’est-à-dire à partir de 6 mois, qui peut être raccourci ou allongé selon les cas. La question, en cas de cal vicieux extra articulaire, est bien de savoir comment combler car il n’est pas certain qu’il soit nécessaire que le greffon ait autant de qualité structurale que biologique. En effet, il n’existe pas vraiment de problème de consolidation dans ces zones métaphysaires. La question devient alors : comment éviter la prise de greffe et utiliser un substitut qui s’adapterait parfaitement à la perte de substance, qui aurait une valeur mécanique, ne remplaçant bien évidemment pas l’ostéosynthèse et qui permettrait de combler exactement la perte de substance en adéquation avec la correction voulue. 4 patients d’âge moyen 41 (24-48 ans), symptomatiques, ont été traités dans un délai de 6 mois (1-8 mois) après la fracture initiale. Dans trois cas, il s’agissait d’une bascule postérieure et dans un autre cas d’une hypercorrection avec bascule antérieure. Le traitement consistait en une ostéotomie d’ouverture comblée par un substitut injectable et ostéosynthèse, L’abord a été dorsal dans trois cas. L’analyse clinique et radiographique a permis d’évaluer la résorption du substitut, le maintien de la correction, le remplacement progressif du substitut par l’os.
L’Eurobone ® (2)
L’eurobone® (Jectos) fabriqué par Kasios, est un ciment phospho calcique composé de Di Calcium Phosphate Di Hydraté. L’obtention du ciment est réalisé en mélangeant une phase liquide et une phase solide (poudre) avec une réaction acide base. La phase solide est constituée de phosphate tricalcique bêta (> 97%) et de pyrophosphate de sodium. La phase liquide est constituée d’ acide ortho phosphorique 4 M et d’ acide sulfurique 0,1 M. Le mélange liquide – poudre est à homogénéiser pendant 1 minute et selon la température de la pièce, 4 mn supplémentaires sont nécessaires pour obtenir un mélange suffisamment épais pour être injecté (si trop liquide risque de fuite, et fuite d’un mélange n’ayant pas « épuisé » la réaction acide base).Le temps de prise est égal à 9-10 min (23°C) et le durcissement augmente de façon rapide à partir de 10 mn. La cinétique de prise est très sensible aux variations de température. L’injectabilité et la prise en milieu aqueux sont bonnes. La porosité obtenue est de 40 % avec une taille moyenne des pores < 5 mm. La résistance en compression d’une éprouvette de 12/10 mm est de 37 MPa (air ambiant) avec un module d ’Young égal à 900 MPa. Comme l’a montré Lerch (2), la mise en place de vis dans le ciment permet d’augmenter leur tenue et leur résistance à l’arrachement. Nous avons pour notre part pu observer un cas où l’insertion d’une vis était possible dans de réduction ® injecté 12 jours plus tôt pour une fracture du radius distal avec chute itérative du patient.
Technique et résultats
Dans tous les cas, l’abord se faisait du côté de l’ouverture. Une ostéosynthèse était mise en place après ostéotomie, sans rupture de la corticale antérieure, mais clasie du côté de l’ostéotomie d’ouverture. Une ostéosynthèse par plaque titane était réalisée. Puis le comblement de la perte de substance par réduction® terminait l’intervention. Cette injection se faisait sous contrôle de l’amplificateur de brillance, 3 à 5 mn après le mélange du substitut, pour obtenir une pâte épaisse qui ne risquerait pas de fuir ou en avant malgré le respect de la corticale antérieure, ou dans les parties molles périphériques. La fermeture se faisait sur drainage avec un surjet intradermique sur la peau. Le rétinaculum des extenseurs n’était pas fermé dans le seul cas d’ostéotomie d’ouverture dorsale.
Les patients ont été revus avec un recul minimum de 9 mois. Un patient ayant présenté une algodystrophie après la fracture initiale a nécessité un arthrolyse 4 mois après l’ostéotomie et garde des amplitudes en flexion extension égales à 50% du côté controlatéral. Pour les 3 autres patients, la récupération des amplitudes pour l’arc de flexion extension atteint 72% du côté controlatéral et 84% pour l’arc de prono supination. La récupération de la force s’est faite à partir du troisième mois.
L’évaluation radiographique a permis de suivre la résorption progressive du substitut qui n’a jamais été complète. Un liseré a été observé dans deux cas sur 3, sans que l’on puisse lui attacher une valeur pathologique. Dans les 2 cas, à plus de 9 mois, il existe une disparition minime et très progressive du substitut. Il n’y a pas eu de perte de correction.
DISCUSSION
La question est bien de savoir pourquoi ne pas continuer à utiliser une valeur sûre : le greffon cortico-spongieux, en cas d’ostéotomie du radius distal. Dans notre expérience et même en cas de grande rigueur, bien souvent le greffon cortico-spongieux est ou trop massif, ou assez long à préparer. En fait, quand il est positionné dans l’ostéotomie d’ouverture, ce n’est pas lui qui s’adapte au défect, mais le radius qui s’adapte au greffon (figure 3). Par ailleurs, dans ces zones métaphysaires, il n’y a pas de besoin d’os spongieux et le caractère biologique est tout à fait superflu à notre avis (au vu de la perte de substance pyramidale minime). Enfin, comme l’a rappelé Gupta (3), il existe une certaine morbidité secondaire au prélèvement du greffon cortico-spongieux iliaque puisqu’il rapportait dans une méta analyse 31 % de complications au niveau du site de prélèvement (13 % de complications mineures, 5 % de complications sérieuses : fracture de l’aile iliaque, 11 % de patients qui gardaient des douleurs aiguës, 27 % qui gardaient des douleurs chroniques après six mois). Aujourd’hui, un peu à l’image des autres sites d’ostéotomie, il est possible d’envisager l’utilisation de substitut osseux. Luccetti a publié en 2004 l’utilisation de Norian® chez 6 patients avec correction d’un cal vicieux fixé par broches (4). Il n’y avait pas de perte de réduction. L’intérêt du caractère injectable du substitut est bien qu’il soit tout à fait adaptatif à la perte de substance. L’Eurobone ®, comme tous les autres ciments phosphocalciques et microporeux, possède une résistance en compression égale à l’os spongieux, c’est bien le minimum, même si tous les travaux qui sont été faits chez ce ciment phosphocalcique comme dans les autres, est bien une résistance évaluée en milieu sec, ce qui n’est jamais le cas en per opératoire. Il ne faut pas attendre une disparition avant 4 à 6 ans au mieux. Cette disparition est proportionnelle à la dose puisque le remplacement par de l’os se fait de façon centripète. Ce traitement a un coût direct : le prix de la dose. Il faudra un jour mettre en balance avec les coûts indirects générés par la morbidité d’un greffon cortico-spongieux. La précaution est bien d’obtenir en per opératoire un aspect pâteux compatible avec l’injection, sans risque de fuite dans les parties molles.
CONCLUSION
Ainsi, il est logique d’envisager dans les cals vicieux extra articulaires du radius chez les patients à haute demande fonctionnelle l’utilisation d’un substitut injectable phosphocalcique pour combler le défect créé par l’ostéotomie d’ouverture. Ce substitut injectable n’est qu’un simple moyen, mais un moyen simple, de comblement. Il ne remplace que le greffon cortico-spongieux, en évitant la iatrogénie du prélèvement, même minime dans des mains expertes, mais ne remplace en aucun cas une fixation rigide. On peut imaginer que le coût réel (coût direct, prix du produit) est probablement inférieur au coût indirect généré par une telle prise de greffon. Il est bien évident qu’on pourrait imaginer ne rien mettre dans cette perte de substance. Il faudrait alors totalement se reposer sur la fixation. Il est indispensable de bien connaître le substitut injectable que l’on utilise en ce qui concerne ses propriétés et sa vitesse de durcissement. Il est à utiliser en dernier, sous contrôle de l’amplification de brillance.
BIBLIOGRAPHIE
1. Voche P, Merle M, Dautel G
Les cals vicieux extra articulaires du radius distal Evaluation et techniques de correction
Rev Chir Orthop Reparatrice 2001 ; 87 : 263-275.
2. Lerch A, Mainard D, Etienne B, Rouquet N
Etude mécanique de l’insertion de vis chirurgicales dans un substitut osseux injectable
Actualités en biomatériaux 2002 ;6 : 59-63
3. Gupta AR et al
Perioperative and long term complications of iliac crest bone graft harvesting for spinal surgery: A quantitative review of the literature.
International Medical Journal 2001; 8:163-66
4. Luchetti RCorrective osteotomy of malunited distal radius fractures using carbonated hydroxyapatite as an alternative to autogenous bone grafting
J Hand Surg 2004; 29A: 825-834