Du bon usage des Courbes de Survie : Quelques suggestions

Jean-Alain Epinette

 Communication complète

Quiconque appartient à la Communauté Orthopédique se doit de souscrire à l'idée selon laquelle une surveillance au long cours est indispensable pour juger du résultat de nos prothèses. En la matière, les analyses de courbes de survie semblent devoir être considérées comme la méthode la plus objective d'évaluation, à l'instar des (fameux) Registres Scandinaves. S'assurer que l'on parle le même langage demeure néanmoins un préalable nécessaire pour autoriser la comparaison entre différentes courbes de survie et d'en apprécier la valeur significative ou non. C'est ainsi qu'il peut apparaître indispensable avant de tracer (et de publier) une courbe de survie selon la méthode de Kaplan-Meyer sur le devenir de nos prothèses de hanche par exemple, de répondre à quatre questions comme suit :

 

  • 1 - Une sélection appropriée du groupe d'étude doit d'abord être envisagée. En toute logique, tous les patients ayant bénéficié de la mise en place d'une telle prothèse doivent être pris en considération pour le calcul de cette courbe. Toutefois, doit-on inclure les cas traumatiques ? Doit-on par ailleurs sélectionner seulement les implantations en primaire ou doit-on mélanger cas de chirurgie primaire et cas de révision ? Il faut en fait garder à l'esprit que toute analyse de survie peut être biaisée de façon extrêmement importante simplement parce que quelques arthroplasties difficiles dans des cas particuliers et même en nombre limité, ont été incluses. A titre d'exemple, les patients appartenant au groupe des prothèses pour fracture du col du fémur ne sont pas les mêmes patients que les cas opérés en chirurgie primaire, lesquels sont eux-mêmes différents des cas de révision. C'est ainsi que toutes ces caractéristiques d'inclusion dans la série étudiée doivent être clairement précisées par l'auteur pour éviter toute ambiguïté.

     

    2 - Le problème majeur demeure tout de même, si l'on souhaite obtenir une réponse appropriée, de poser la bonne question, laquelle peut se résumer comme suit: en fait que cherche t'on précisément à étudier ? Or chaque composant de toute arthroplastie quelquefois doit vivre sa propre vie. C'est ainsi que par exemple un échec mécanique au niveau fémoral va entraîner une révision seulement sur le versant fémoral tandis que le cotyle est laissé en place, et vice versa. Dans cette hypothèse, la recherche de tous les échecs mécaniques d'une série doit intéresser le nombre global des révisions. Au contraire, si l'on évalue les résultats à long terme d'une cupule, on ne devra prendre en compte que les révisions dues à des échecs acétabulaires. En outre, de temps à autre, les cupules sont échangées en tant que procédure de routine d'une révision globale en rapport avec un problème uniquement fémoral : ces cupules échangées à titre systématique doivent-elles être considérées comme appartenant aux échecs acétabulaires? Une autre question survient immédiatement à propos du domaine de recherche : si nous étudions les résultats de l'arthroplastie dans son ensemble, sans nul doute toutes les révisions pour luxation récidivante en rapport avec une malposition des implants, doivent être incluses dans le groupe d'échecs. A l'opposé, une étude particulière à propos des résultats à long terme d'un interface spécifique comme par exemple les implants à revêtement Hydroxyapatite, devront ne sélectionner que les échecs dus à un problème de fixation, et en pareil cas, contrairement au cas de figure précédent, toute révision pour luxation récidivante n'a pas à être incluse dans la liste des " échecs ". De surcroît, dans le cas cité précédemment de malposition d'un implant, s'agit-il d'un échec de l'implant (ou plus précisément de son mode fixation) ou d'un échec du geste chirurgical (c'est à dire de l'association de l'implant et de la main de l'opérateur) ? En dernier lieu les réopérations sans ablation d'implant " majeur " (c'est à dire cupule métallique et/ou tige laissée(s) en place), par exemple lors des synovectomies ou d'ablation de calcifications hétérotopiques tandis que les composants par ailleurs bien fixés restent en place, ne doivent à l'évidence pas à être considérés comme des " échecs "

     

    3 - L'étape suivante amène à prendre en considération la définition de l'échec en tant qu'élément de sortie, et de vérifier si la définition est correcte dans l'étude considérée. Lors que l'on reprend les Registres Scandinaves, un résultat clinique désastreux chez un patient qui ne peut être réopéré, soit parce qu'il est dans un mauvais état général soir simplement parce qu'il ne souhaite pas subir une réintervention, sera considéré comme un succès puisque la prothèse reste en place. A l'opposés, un résultat particulièrement favorable chez un patient qui de façon accidentelle et intercurrente, présente une chute et casse son fémur, ce qui oblige à une reprise avec échange de prothèse, appartiendra naturellement à la liste des " échecs ". C'est ainsi qu'il importe lors de toute étude de vérifier que chaque événement a été clairement répertorié, de façon à éliminer autant que possible, tant les " faux négatifs ", que les " faux positifs " : notre attitude en pareil cas, suivant en cela les propositions de Bill Capello, sont d'inclure dans le groupe des " échecs " toute les ablations de prothèses dues à un échec mécanique, en ajoutant à ce nombre les échecs mécaniques chez un patient qui ne sera pas réopéré quelles qu'en soient les raisons, aussi bien que les descellements mécaniques radiographiques sans indication d'ablation en raison par exemple d'un résultat fonctionnel relativement acceptable.

     

    C'est ainsi qu'un programme informatique doit comporter la définition précise de l'archivage. Dans le programme considéré,

    •  
    • le groupe A comprend tous les cas " en vie " dans le fichier ;

       

    • le groupe B doit inclure les cas sortis de l'étude, soit parce qu'ils sont perdus de vue (B1), soit parce que le décès est survenu pour une cause sans raison avec la prothèse (B2), soit parce qu'il s'agit d'une ablation pour accident intercurrent traumatique sans échec mécanique (B3), de même que les ablations pour descellement septique sans échec mécanique de la prothèse, par exemple par infection hématogène due à un foyer à distance (B4) ; enfin certains patients doivent être considérés comme en dehors de l'étude (B5) parce que d'emblée, leurs résultats ne peuvent être considérés comme significatif (cas des patients particulièrement âgés, d'un surpoids excessif ou de quelque autre problème empêchant toute évaluation rationnelle) ;

       

    • le groupe C inclut tous les échecs en relation avec la prothèse, qu'il s'agisse des ablations pour échec mécanique (C1) ou des échecs cliniques non réopérés (C2) ou encore des échecs radiographiques non réopérés (C3). Le programme va ajouter en dernier lieu le cas particulier des ablations acétabulaires isolées (CA) et les échecs fémoraux isolés (CF) tandis que le groupe C1 répertoriait les échecs avec ablation à la fois des deux composants acétabulaire et fémoral.
  • C'est ainsi que lors de la construction de la courbe, le programme informatique permet à l'utilisateur de choisir lui-même l'élément de sortie à prendre en compte, qu'il s'agisse schématiquement de tous les échecs dus à la prothèse, selon Capello (c'est à dire incluant les C1, les C2 et les C3) ou à l'inverse à la mode " Scandinave " en choisissant comme élément de survie, tout type d'ablation (C1 +B2 + B3) quelle qu'en soit la raison. Par ailleurs, il doit être possible naturellement de choisir le site de l'échec en cas d'ablation partielle d'implants : s'il s'agit d'un échec acétabulaire, il faudra prendre les échecs globaux et les échecs acétabulaires et à l'inverse pour étudier le devenir des tiges fémorales regrouper échecs globaux et échecs fémoraux.

     

    4 - En dernier lieu bien naturellement, l'ordinateur doit fournir des résultats prenant en considération les intervalles de confidence à 0,05. c'est ainsi que le programme devra non seulement construire la courbe se survie elle même, mais également les courbes de marges supérieures et inférieures en fonction de ces différents intervalles. En l'absence de ces intervalles de confidence, une courbe de survie isolée ne pourra jamais être considére comme ayant une quelconque valeur scientifique et ne devrait pas pouvoir être acceptée comme une contribution scientifique dans une étude. En outre un nombre limité de cas va générer des intervalles si élargis que la courbe n'aura plus aucun intérêt. A l'inverse, un grand nombre de cas régulièrement suivis avec peu de " perdus de vue ", conduit à une courbe de survie de haute valeur scientifique. De tels résultats vont permettre des comparaisons statistiques valables avec des cohortes similaires en utilisant les tests statistiques appropriés, notamment le logrank test par exemple, ce qui autorise la comparaison de deux groupes de prothèses, différent l'une de l'autre par un petit nombre de paramètres, en sachant que plus le nombre est faible et plus la comparaison sera naturellement valable. A noter enfin que pour être valable, la courbe de survie doit posséder à son délai maximum, un nombre minimal de 50 cas restés " en vie " : toute courbe construite au delà ne possède plus aucune valeur statistique, ce qui souligne la nécessité de signaler le nombre de cas " en vie " au délai maximal de l'étude de survie.

     

  • En tant qu'exemple de ces différents résultats fournis par une analyse de courbe de survie, qui peuvent être éminemment variables en fonction de paramètres pris ou non en considération et montrant pourquoi la publication " sèche " d'une courbe isolée peut être parfois totalement irréaliste, nous avons demandé à l'ordinateur de calculer différentes courbes de survie à partir d'une même série, mais en faisant varier les modes de calcul. La série prise en exemple est une série de 2043 cas à 10 ans de follow-up maximum d'une prothèse à recouvrement d'Hydroxyapatite. Les résultats sont étonnants dans la mesure où plus d'une dizaine de courbes de survie cumulatives différentes ont ainsi pu être produites, avec des taux particulièrement élastiques, depuis le plus bas à 94,24% (retrouvés en fonction d'une ablation quelle qu'en soit la causalité des deux composants sur la série globale incluant les cas de primaire et de révision) jusqu'au maximum de 100% de survie (retrouvés pour n'importe quel mode d'ablation en chirurgie primaire) dans une cohorte de plus de 10 ans de recul.

     

    En final, les analyses de courbes de survie cumulatives demeurent l'un des plus précieux outils d'évaluation de nos implants dans le long terme. Tout comme pour la langue d'Esope néanmoins, une courbes de survie peut dans le même temps la meilleure et la pire des choses. En tout état de cause pourtant, une sélection appropriée des éléments inclus dans la cohorte d'étude, une assignation claire des éléments de sortie et l'utilisation rigoureuse des computations statistiques, seront une aide précieuse pour analyser et comparer les résultats des arthroplasties de la façon la plus objective et la plus digne de confiance possible.

     

     

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