L’ antibioprophylaxie pour les nuls

J. GAUDIAS

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L’antibioprophylaxie en chirurgie est, à l’initiative de la Société Française d’Anesthésie réanimation (SFAR), une pratique codifiée depuis 1992, date de la publication d’une conférence de consensus portant sur le sujet. Cette date est censée marquer la rupture entre une période antérieure faite d’un usage souvent irrationnel des antibiotiques en péri opératoire, et une pratique raisonnée, s’inscrivant plus comme un complément des précautions d’hygiène au bloc opératoire, que comme une prescription thérapeutique.

A deux reprises cette conférence de consensus a été réactualisée, en 1988 d’abord, puis plus récemment en 2010, toujours sous l’égide de la SFAR. Ce travail initial d’évaluation, puis de réévaluation, s’est toujours fait de façon pluridisciplinaire, mais sur le terrain, la question de savoir qui gère l’antibioprophylaxie reste aujourd’hui paradoxalement posée.

Parmi les 16 point définis comme essentiels, et qui concernent les principes généraux de l’antibioprophylaxie (ABP) en chirurgie et médecine interventionnelle, figurent 3 points qui interpellent autant le chirurgien que l’anesthésiste.

Point 6 : « l’indication de l’antibioprophylaxie est posée à la consultation pré interventionnelle et tracée dans le dossier »

Point 8 : « l’application de la check list fait vérifier l’administration de l’antibioprophylaxie »

Point 9 : « chaque équipe doit décider du médecin responsable de la prescription de l’antibioprophylaxie. Celui ci peut être le médecin anesthésiste, le chirurgien, le gastroentérologue, l’imageur … »

La « place » est à prendre, et il est peut être temps pour les chirurgiens orthopédistes de s’approprier un peu plus ce sujet, sauf à ne se préoccuper en rien de la prévention de l’infection de site opératoire (ISO).

Encore faut-il pour s’approprier un tel sujet, le connaître…

Si cette envie de connaître se limite au « livre de recettes », il suffit d’en prendre la dernière édition (SFAR 2010), de l’afficher aux endroits stratégiques et de se satisfaire du devoir ainsi accompli.

Pour le lecteur plus curieux, attaché à comprendre et maîtriser le sujet, voici quelques développements nécessaires :

1 – La chirurgie orthopédique et Traumatologique est une chirurgie qui le plus souvent laisse en place, de façon définitive ou provisoire, un corps étranger.

Du point de vue du risque infectieux, l’effet corps étranger s’accompagne d’une sidération des mécanismes habituels de défense contre l’infection au site de mise en place de ce corps étranger.

La traduction clinique de ce bouleversement est une réduction très significative du nombre de bactéries nécessaires pour déclencher une infection. Ce fait biologique fondamental, est de longue date connu et évalué dans les modèles expérimentaux d’infection de site opératoire. Le nombre de bactéries inoculées nécessaires pour déclencher une infection passe de 10 6 à 10 2 unités formants colonies lorsque est laissé en place un corps étranger, qu’il soit fait de métal, de plastique ou de ciment.

Toutes règles d’hygiène parfaitement appliquées par ailleurs, le seul outil aujourd’hui à notre disposition pour réduire au maximum le risque d’ISO est l’antibioprophylaxie bien conduite. Son efficacité est parfaitement démontrée en chirurgie prothétique de la hanche, du genou, et dans les ostéosynthèses des fractures de l’extrémité supérieure du fémur.

L’utilisation de l’ABP pour d’autres actes relève le plus souvent du principe d’extrapolation. A l’inverse, l’absence d’ABP en chirurgie prothétique de la hanche, s’accompagne d’une augmentation du risque d’ISO avec un risque relatif de 4,7.

2 – Règles fondamentales de l’antibioprophylaxie.

L’ ABP réduit le risque d’ISO, elle ne s’applique que chez un patient indemne d’infection au moment de sa réalisation.

L’antibiotique utilisé doit être présent au site opéré avant que ne survienne la contamination de ce site. L’antibiotique doit donc être administré avant l’incision.

Cette affirmation s’avère être l’élément fondamental de l’ ABP et en constitue le dogme. Elle fait suite au travail expérimental de BURKE (1961) qui pose une question très simple : quel est l’effet d’une dose unique d’antibiotique actif vis à vis de Staphylocoque aureus en fonction du moment de l’administration  de cette dose par rapport à l’inoculation bactérienne. Seule l’administration de cette dose unique avant une inoculation bactérienne s’accompagne d’une réduction quasi totale du risque d’infection, la même dose administrée trois à quatre heures après l’inoculation bactérienne perd tout effet préventif, la survenue de l’infection est alors certaine dans le modèle étudié.

Les procédures cliniques validant l’ ABP en chirurgie ont toutes appliquées les données du modèle de BURKE.

La présence de l’antibiotique dans les tissus avant la contamination bactérienne est la condition nécessaire à l’efficacité de l’ABP quelque soit le type de chirurgie.

Pour en être également la condition suffisante, il suffit de penser l’ABP comme un exercice de pharmacocinétique appliqué à chaque patient en fonction du geste chirurgical prévu. Cet exercice de pharmacocinétique pour une molécule choisie (proposée par les référentiels), va porter sur les éléments suivants :

la posologie, et donc la concentration sanguine et tissulaire prévisible de l’antibiotique au site opératoire. L’actualisation 2010 prend en compte pour la première fois le problème de l’obésité en doublant les doses en cas d’index de masse corporelle supérieur à 35 kg/m2.

Le délai nécessaire entre l’administration de l’antibiotique et l’incision qui marque le début du risque de contamination du site opératoire : un délai de 30 minutes est un minimum nécessaire, impliquant une réflexion sur l’organisation de la chaîne des soins au bloc opératoire Vis à vis de cet objectif, l’utilisation du garrot pneumatique est un élément perturbant potentiellement pour cet exercice pharmacocinétique, et sa prise en compte est une clé de la réussite de l’antibioprophylaxie en pratique, au-delà du simple fait d’avoir injecté à titre d’exemple 2g de CEFAZOLINE.

Le besoin de ré injection lorsque l’intervention se prolonge : le maintien d’une concentration tissulaire élevée de l’antibiotique tant que dure l’intervention répond à l’objectif du principe de BURKE, d’être présent avant la contamination tant que celle-ci se matérialise. En pratique ce risque persiste jusqu’à la fermeture cutanée qui constitue la fin de la période « vulnérable ».

L’intégration de ces quelques données dans l’organisation pratique de l’ABP est indispensable pour tirer de cette technique de prévention de l’ISO son efficacité maximale. Si la communauté chirurgicale a pu déléguer à d’autres le travail de rédaction des procédures et du référentiel, elle ne peut se soustraire au travail de terrain au bloc opératoire et en amont, seul à même d’optimiser l’effet de l’antibioprophylaxie.