Migration des particules d'usure du polyéthylène autour des implants fémoraux cimentés non descellés.

P Massin *, D Chappard *, P Hardouin **
* CHU Angers.
** Groupe Opale, Université du littoral, Berck S/Mer

 La communication complète

Introduction. Le descellement cotyloïdien selon les publications anglo-saxonnes a une origine biologique, d'après les observations faites sur des pièces d'autopsie de cupules cotyloïdiennes qui donnaient avant le décès du patient un bon résultat clinique et radiologique. Des particules ont été observées dans la couche de tissu fibreux interposée entre l'os et le ciment à la périphérie des cupules cotyloïdiennes. Il en a été conclu que ces particules induisaient un processus de résorption osseuse à l'interface de fixation avec développement de tissu fibreux, progressant de la périphérie vers le dôme de la cupule.

Il est de même d'usage de considérer le descellement fémoral comme étant d'origine mécanique, en se basant sur les fissures observées dans le manteau de ciment. L'implant fémoral commencerait à prendre du jeu dans son manteau de ciment du fait d'une décoaptation à l'interface métal ciment, responsable ensuite de détérioration du manteau de ciment à l'endroit où il est le plus mince.

Cependant, il existe aussi des phénomènes de résorption osseuse à la périphérie des implants fémoraux. Schmalzried a montré que des particules de polyéthylène étaient présentes dans les produits de curetage des zones d'ostéolyse obtenues à la révision d'implants fémoraux descellés. Il expliqua la présence des particules à distance de l'articulation par leur migration dans l'espace métal ciment considéré comme une extension de la cavité articulaire, dans laquelle cheminerait le liquide articulaire sous pression, transportant les débris d'usure. Selon Anthonie et al, ces débris d'usure pourraient ensuite atteindre l'interface ciment os à l'occasion d'une discontinuité dans le manteau de ciment, et provoquer une réaction localisée d'ostéolyse, à distance de l'articulation, alors même que le reste de l'interface ciment os est resté intact.

En fait, quel que soit le type de fixation (cimentée ou sans ciment), il existe des réactions d'ostéolyse fémorales parfois massives, plus fréquentes à proximité de l'articulation, décrites initialement par Charnley, puis par Letournel avec les implants sans ciment, puis plus tardivement par Maloney et al.

Sur les notions actuellement en vigueur dans la littérature anglo-saxonne, le cheminement des particules d'usure autour des implants cimentés se fait à l'interface métal ciment, l'interface os ciment étant protégée par le manteau de ciment s'il est continu. Nous avons voulu vérifier si les particules d'usure se concentraient bien électivement à l'interface métal ciment et non à l'interface os ciment sur des implants fémoraux que nous voulions non descellés c'est-à-dire avec le ciment toujours en contact étroit avec l'os et une gaine de ciment aussi saine que possible. Nous rapportons les résultats de travaux étudiant la migration des particules de polyéthylène autour d'implants fémoraux cimentés non descellés dans le but de remonter à la genèse du descellement des prothèses de hanche cimentées.

 

Matériel et méthodes. Nous avons effectué une étude expérimentale chez le mouton en implantant des éprouvettes dans les métaphyses inférieure fémorale et supérieure tibiale par la même incision au niveau du genou. Ces éprouvettes ont été cimentées et implantées en zone non portante de façon à ne pas avoir d'effet mécanique parasite. Des particules de polyéthylène ont été injectées dans le genou régulièrement et les animaux sacrifiés au 6 ème mois pour examen histologique des interfaces en lumière polarisée et numération des particules aux deux interfaces à l'aide d'un logiciel d'analyse d'image. Ces résultats sur 9 animaux implantés bilatéralement ont été publiés dans le JBMR.

Une étude de trois pièces d'autopsie obtenues sur des patientes âgées décédées de maladie intercurrente a été effectuée. Ces prothèses prélevées avec le site osseux receveur sans le détériorer avaient toutes un aspect radiographique optimal malgré des reculs de 8 à 9 ans. Par contre les implants cotyloïdiens étaient entourés d'une réaction granulomateuse, garantissant qu'un nombre de particules suffisant avait été produit pour provoquer une ostéolyse. Ce travail a également été accepté dans le JBMR.

Résultats. Ils sont concordants dans l'étude expérimentale et l'étude des pièces d'autopsie.

Il existait constamment un espace à l'interface métal ciment peut être du à la rétraction du polymère lors de la polymérisation. Des particules de toutes tailles cheminaient dans cet espace. Le ciment était assez hermétique aux particules, qui pouvaient cependant ponctuellement s'y infiltrer à la faveur d'une fissure.

L'interface os ciment était optimal en microscopie au fort grossissement, montrant bien l'absence de descellement. Les particules étaient aussi présentes en nombre important à l'interface os ciment, concentrées sur le versant osseux, entre les travées osseuses dans les espaces médullaires de l'os spongieux métaphysaire.

Les fémurs obtenus à l'autopsie ont été sectionnés à quatre niveaux dont un sous la queue fémorale. La gaine de ciment apparaissait continue sur les trois premiers niveaux et il n'y avait aucune trace de descellement fémoral avec un interface ciment os optimal. L'épaisseur d'os spongieux autour de l'implant décroissait de sa partie proximale à sa partie distale. La persistance d'une mince couche d'os spongieux au niveau diaphysaire attestait d'un certain degré d'ostéoporose corticale chez ces patientes âgées.

Comme chez l'animal, on a retrouvé la décoaptation métal ciment avec un fin espace dans lequel cheminaient des particules en lumière polarisée. Il existait aussi quelques groupes de particules dans le ciment lui-même.

On a retrouvé aussi malgré un excellent contact persistant entre le ciment et l'os de nombreuses particules à l'interface ciment os, les particules se logeant en particulier dans les espaces médullaires de l'os spongieux, comme cela avait été constaté chez l'animal. Ces particules étaient particulièrement abondantes dans l'os spongieux proximal. Elles étaient présentes en moindre concentration à un niveau plus distal et en particulier dans l'os cortical où on les retrouvait dans les canaux de Havers.

On a retrouvé un grand nombre de particules dans le canal médullaire situé sous la prothèse fémorale. La digestion enzymatique d'un fragment osseux sous prothétique avec centrifugation du culot résiduel a permis de retrouver de nombreuses particules de polyéthylène de taille variable allant de moins de 1 microns à 100 microns dans leur plus grand diamètre.

Discussion. Il existe certainement des causes mécaniques du descellement et en particulier au niveau cotyloïdien où les déformations osseuses autour de l'implant en charge sont constantes et importantes, comme nous l'avions montré dans une étude expérimentale maintenant déjà assez ancienne. En particulier, il n'existe pas cette relation entre la rigidité de l'implant et les déformations osseuses que l'on observe au niveau fémoral, ce qui explique peut être pourquoi le remodelage osseux au niveau cotyloïdien est bien moindre qu'au niveau fémoral. Charnley avait déjà constaté la fréquence de la décoaptation ciment os au niveau cotyloïdien, expliquant les lisérés radiographiques, y compris sur des implants donnant toute satisfaction clinique. Ceci explique sans doute pourquoi les particules migrent plus facilement à la périphérie de la cupule acétabulaire, donnant des ostéolyses péri acétabulaires plus précoces qu'au niveau fémoral.

Plusieurs auteurs ont montré au contraire que l'interface ciment os au niveau fémoral restait intact dans la majorité des cas, le ciment restant au contact de l'os. Mais l'ostéolyse fémorale, même si elle est plus tardive, est possible puisqu'il existe aussi une infiltration de produit d'usure autour de l'implant fémoral. Cette accumulation prédomine dans l'os spongieux proximal de la métaphyse ou dans la corticale métaphysaire spongialisée par le " stress shielding ". Elle est certes possible à distance de l'articulation comme l'ont expliqué Anthonie et al. Mais elle est plus fréquente dans la région proximale du fémur, dont les espaces médullaires sont plus importants.

Conclusion. Il semble que le problème du scellement cotyloïdien soit en premier lieu mécanique, favorisant l'ostéolyse en ouvrant l'interface ciment os aux débris d'usure.

Au niveau fémoral, l'absence de phénomènes mécaniques nocifs préserve l'interface ciment os et ralentit la migration des débris d'usure. C'est la spongialisation de la partie proximale du fémur autour des prothèse fémorales rigides qui permettrait d'augmenter la concentration locale de particules dans l'os spongieux jusqu'à la dose critique à partir de laquelle se déclenche la réaction d'ostéolyse.

Il est curieux que l'accumulation des particules dans la partie distale du fémur ne provoque pas d'ostéolyse. On peut donc penser, que des particules isolées, sans liquide articulaire sous pression, ne peuvent induire à elles seules la réaction biologique de résorption osseuse.

 

 

 

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